Soutenu par un opposant au maire, un policier municipal a dénoncé les agissements de certains de ses collègues. Des faits de «harcèlement d'ambiance», estime le maire de la commune des Alpes-Maritimes, qui défend «sa» police.
Il y a un policier à sa table, un autre dans la salle, encore une autre derrière l'hygiaphone de l'entrée de l'hôtel de ville de Saint-Laurent-du-Var (AlpesMaritimes). Le maire Joseph Segura (LR) est entouré de ses effectifs en uniforme pour sa conférence de presse, mardi 21 octobre. Lui, l'ancien flic, défend ses agents. Il dit même « ma police ». Alors même que son service est dans la tourmente. A la fin de l'été, des accusations de « tabassage », de « racisme et de discrimination » ont émergé. Deux ans plus tôt, l'existence d'un groupe WhatsApp interne pour le partage de photos de délinquants avait été révélée. Deux signalements dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale (1) ont été formulés par son ancien adjoint à la sécurité, passé dans l'opposition et candidat aux élections suivantes. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond dans les rangs de la police municipale de Saint-Laurent-du-Var ?
Les alertes viennent toujours de l’intérieur. «J'ai fait remonter des informations qui me paraissaient incohérentes car j'avais l'obligation d'en rendre compte à ma hiérarchie», expose Jean-Louis Perrier, le policier municipal à l'origine de la dernière alerte. Issu de la communauté des gens du voyage, il dit avoir reçu des injures racistes de certains de ses collègues. Il a aussi raconté avoir assisté, en début d'année, au « tabassage » d'un homme menotté à l'arrière de la voiture de police. Il dénonce cette brutalité.
Pour le maire, «un policier essaie de gagner à d'autres policiers»
«Ce n'est pas un jeune homme de bonne famille qui a été interpellé. C'était un voyou qui a essayé d'agresser deux personnes, oppose le maire Joseph Segura. Ma police a fait son travail.» En interne, deux enquêtes administratives sont menées et un conseil de discipline est saisi. «Les accusations de racisme n'ont pas pu être matériellement établies au regard des témoignages recueillis, poursuit le maire. En revanche, un harcèlement d’ambiance a été caractérisé dans un climat de tension. Un policier essaie de gagner à d'autres policiers.»
Jean-Louis Perrier, puisque c'est lui qui est visé, a été révoqué après avoir été six ans en fonction dans la commune. Deux autres agents sont sanctionnés : deux mois de mise à pied pour un autre agent qui a « participé au harcèlement d'ambiance » et un avertissement pour celui « mis en cause pour des faits de violence ». Jean-Louis Perrier estime avoir été renvoyé pour avoir énoncé les dérives. Il a entamé un recours auprès du tribunal administratif de Nice. «Il est en cours d'instruction», indique l'instance à Libération. Pour le secrétaire départemental de la coordination CGT pour les territoires, Julien Picot, « la décision finale a été disproportionnée ». « C'est du jamais vu. Il n'y a pas les preuves nécessaires», estime le défenseur des agents.
La politique s'en mêle Saint-Laurent-du-Var compte 40 agents pour 31 000 habitants. En 2023 déjà, le quotidien local Nice Matin relatait l'existence d'une conversation WhatsApp où les agents s'échangeaient des photos et des informations. Un lanceur d'alerte pointait ce partage de fichiers non réglementaire. «Les policiers municipaux mis en cause dans le premier dossier ont fait l'objet d'un avertissement pénal probatoire», indique le parquet de Grasse, destinataire de l'article 40, dont la Commission nationale de l'informatique et des libertés avait été mise en copie. Ces agents sont toujours en poste. «Il n'y a pas de fichage, dit le maire. Sur a tous des groupes WhatsApp dans nos vies.» Depuis, d’autres critiques apparaissent. Des effectifs seraient-ils mis au placard dans un poste de police éloigné ? «C'est la continuité des services dans nos quartiers. Mais certains interprètent ça différemment», répond Segura. Des agents qui rentreraient déjeuner au domicile en tenue et armés ? «C'est faux», oppose-t-il encore.
Quand on rencontre le policier Jean-Louis Perrier, c'est en présence du politicien Patrick Villardry, l'ancien adjoint à la sécurité de la sécurité contre lequel il s'est présenté en 2020. Il compte l'affronter de nouvelle aux prochaines municipales. Une candidature sans étiquette, mais l'homme a navigué entre LR, Reconquête et l'UDR de Ciotti. La politique s’en mêle. Alors le maire parle de «manipulation», «d'instrumentalisation» et d'envie de «nuire» dans un contexte préélectoral : «Pourquoi tout ça, à part un geste politique ?» De son côté, Patrick Villardry a consigné les éléments dans une épaisse pochette orange. Il l'ouvre pour trouver les documents et les dossiers, les coupures de presse et les copies des plaintes. «On se croirait aux EtatsUnis», exprime-t-il. Il n'hésite pas à parler de «milice» .
«On va de dérapage en dérapage»
« L'un des vrais problèmes, c'est que le maire a fait le choix de ne pas désigner d'adjoint à la sécurité, estime l'avocat de Patrick Villardry, Me Hervé De Surville. Tout ça parce qu'il est persuadé qu'il peut être le shérif de la police municipale. Il y a un défaut d'organisation, de gestion, de compétence. On va de dérapage en dérapage. Il va bien falloir un audit pour savoir si ce sont des brebis galeuses ou s'il ya besoin d'une vaste réorganisation.» Le maire affirme voir sa police «au quotidien» : «Je n'ai pas besoin d'audit pour savoir quand ça va, quand ça ne va pas.»
Plusieurs burn-out ont également été rapportés à Libération. Julien Picot (qui se trouve être à l'autre bout de l'échiquier politique, secrétaire départemental du PCF) relève un « mal-être dans cette collectivité » : « Il y a une proximité politique avec les agents, de la pression sur les cadres, sur les agents pour tenir les équipes, développer-t-il. Et certains craquent. Ils sentent le souffle dans la nue du politique qui est derrière eux.» Mardi, à la conférence de presse du maire, on assure que «l'ambiance est redevenue sereine» . Le directeur de la police en veut pour prouver ses effectifs qui apportent «des gâteaux», «des friandises». Et le maire se félicite du recrutement de deux agents de nuit.
(1) Le texte prévoit que «tout officier public qui acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur». 25/10/2025 19:34 A Saint-Laurent-du-Var, un agent révoqué après avoir déclaré racisme et violence au sein de la police municipale



